Berrocal (Jac Berrocal), trompettiste, chanteur, performeur, poète, à la croisée du free jazz, du punk et de la poésie sonore, est une figure emblématique française de la scène underground musicale internationale. Son style à fleur de peau, à la fois tendre et violent, est inimitable et imprévisible. A l’âge de 11 ans, dans la plus ancienne cathédrale du monde, il donne sa voix lors du service funèbre d’un archevêque devant des milliers de personnes, et dira plus tard que c’était mieux que l’Olympia…Il approche la trompette pendant son service militaire, entend un jour Ornette Coleman et Don Cherry jouer « Lonely Woman » et sera subjugué. Jac ne suivait cependant pas de style particulier, il écoutait de tout. Quand le free-jazz arriva, il écoutait de la musique tibétaine, et passer de Léo Ferré à Charles Mingus, de PiL à la musique classique, ou de Suzy Solidor (plus largement les chansons des années 20-30) à Stockhausen n’était pas un problème. Mais Jac admire avant tout Ornette Coleman, Don Cherry, Eric Dolphy, Albert Ayler, Anthony Braxton, Sun Ra, Cecil Taylor et Archie Shepp, pour ne citer qu’eux. Au début des années 70, Jac découvre que les étudiants activistes de gauche avaient en fin de compte des idées assez limitées sur ce que la musique devait être car ils faisaient arrêter ses performances au bout de 2 minutes… C’est à cette époque qu’il fonde le Music Ensemble avec Claude Parle et Roger Ferlet, puis son ami peintre Michel Potage, avec qui il créera plus tard des spectacles au Musée d’Art Moderne.
Convoqué par les sulfureuses cymbales de Jacques Thollot, Dennis Charles, Jonathan Kane, Jaki Liebezeit (Can), Sunny Murray…, les basses de Ron Anderson et Jesse Krakow (Marilyn Manson), Jac berrocal aura croisé la route d’une pléiade d’artistes d’exception : de l’archange noir des sixties Vince Taylor au poète Jacques Doyen; du post jazz au free rock ( Pak, MKB du cinéaste F J Ossang), de l’électrique Jean-François Pauvros, avec qui il créera à la fin des années 70 le groupe Catalogue avec également Jean-Pierre Arnoux (remplacé par Gilbert Artman) – groupe avec lequel il enregistrera le très provocateur « Khomeiny Twist » (Hat Hut), aux conceptions urbaines de Gilbert Altman à l’électro d’Aki Onda; du groupe industriel Nurse With Wound en Angleterre à l’enragé de New York James Chance en passant par la reine de l’accordéon Yvette Horner et les modèles du créateur Issey Miake… Peuvent encore être cités Pierre Bastien, Lol Coxhill, Jeanne Moreau, Pascal Comelade, Daunik lazro, Pierre Nicholas l’accompagnateur de George Brassens et de Charles Trenet… Des femmes qui ont compté, comme entre autres Marie Möör, amie chanteuse auteure compositeure qui l’a beaucoup aidé, Armande Altaï avec qui il a travaillé la musique théâtre avec également Michel Potage.
Des rencontres surréalistes, comme avec Roger Ferlet qu’il croise pour la première fois en faisant de l’auto-stop en Finlande. « Où vas-tu? » « Au cercle Arctique « . « Ah, moi aussi, la voiture va lâcher mais monte ». Ou Vince Taylor qu’il rencontre dans le magasin d’antiquités d’un ami, et lorsqu’il entend sa voix, sait que c’est celle qu’il veut pour Rock’n Roll Station qu’il venait d’écrire. L’enregistrement se fait dans la maison années 30 d’un ami, dans laquelle traine un vélo. Jac propose de l’utiliser, Vince dira: « Très bien c’est comme une batterie! »
Il touche aussi le cinéma, ayant tourné dans Rouge Baiser de Véra Belmont puis Le Miraculé et Agent Trouble de Jean-Pierre Mocky.
Jac Berrocal ne se définit pas comme marginal, il dit qu’il n’a jamais signé un papier le définissant ainsi; selon lui, ce sont plutôt les autres qui le sont. Cela n’empêche pas d’avoir des idées incongrues, comme par exemple enregistrer Musiq Musik dans l’église de Sens. A l’époque les studios coutaient une fortune, et Jac réalisa que le reverb naturel était beaucoup plus beau et ne coutait rien. Le prêtre, très ouvert et curieux, donna son autorisation, et Michel Potage installa ses micros sur la crypte des deux martyrs Saint Savinien and Saint Potentien. Le résultat: un album ni jazz, ni rock, ni musique contemporaine… peut-être le premier disque de world musique d’avant garde, ou plutôt d’après garde…
Jac Berrocal a sorti récemment un 45t intitulé « Marie-Antoinette is not dead » avec Jack Belsen et la chanteuse Marie France, chez le label Rotorelief. Normal pour lui de remettre sur le devant de la scène une autre figure qu’il admire, celle qui a fait jouer à la Cour pour la première fois un homme noir au clavecin, Saint-Georges : le premier concert de jazz de l’humanité ? Jac Berocal est aussi féru d’Histoire, il aurait d’ailleurs pu tout aussi bien faire une carrière d’historien.
Nous l’avons aussi entendu sur le disque de Christophe « Aimer ce que nous sommes », avec entre autres Isabelle Adjani.
De «l’homme à la trompette brisée» Fernando Arrabal parlera de « Musique Panique » .
Isabel Abbot MacNab / Rotorelief 2011